[
95
]
Le temps retrouvé
C’est habité par cette expérience de la mémoire involontaire que Proust
entama son grand cycle romanesque,
À la recherche du temps perdu
,
dont il fait de cette maison de vacances de son enfance le centre du
premier volet :
Combray
. Combray où longtemps il se coucha de bonne
heure, où malade d’anxiété en haut de l’escalier il attendit sa mère
en espérant en recevoir un baiser, où il s’émerveilla aussi de ce para-
dis que pouvait être un jardin, où il passa encore de longues heures
silencieuses avec ses livres dans la salle à manger transformée par sa
solitude en cabinet de lecture.
Jamais Proust devenu adulte ne revint sur les lieux de cette enfance.
Ses récits sont le fruit d’une reconstitution mentale, d’une recompo-
sition de la réalité, d’une transfiguration des lieux. Ainsi, les prénoms
et les noms ont-ils été modifiés. Illiers devenant Combray ou Elizabeth
Amiot devenant tante Léonie. Les lieux y sont confondus, leurs pro-
portions exagérées par cette disproportion née du regard de l’enfant
auquel tout semble immense. Ce « bout de jardin » depuis lequel reten-
tissait le « tintement timide, ovale et doré de la clochette » qui annonçait
l’arrivée de Swann ne se trouve ainsi qu’à quelques pas de la table
de fer autour de laquelle la famille de Proust se tenait rassemblée à
l’ombre d’un marronnier. Car ce paradis « où les feuilles ne cessaient
de distiller leurs vertus, tandis que s’échappaient perpétuellement le
charme violent des fleurs », ce paradis étourdissant n’est de fait qu’un
modeste jardin de ville.
1
]
2
]
Dans la maison ont été rassemblés des meubles classiques ayant appar-
tenu à Proust ou à sa famille, présents sur place ou ramenés de Paris.